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 Le chien, une énigme biologique - Olivier Postel Vinay - La recherche l'Actualité des Sciences

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bailysse
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MessageSujet: Le chien, une énigme biologique - Olivier Postel Vinay - La recherche l'Actualité des Sciences   Le chien, une énigme biologique - Olivier Postel Vinay - La recherche l'Actualité des Sciences EmptyVen 11 Juil - 14:21


Le chien, une énigme biologique

évolution - 01/05/2004 par Olivier Postel-Vinay dans mensuel n°375 à la page 30 (3925 mots) | Gratuit

http://www.larecherche.fr/savoirs/evolution/chien-enigme-biologique-01-05-2004-88998


Le séquençage du génome d'un boxer, en cours aux États-Unis, permettra peut-être d'en savoir un peu plus sur les origines du compagnon de l'homme. Car l'hypothèse communément admise d'un ancêtre chien descendu du loup est contestée par certains scientifiques. De même, de nouvelles questions se posent sur l'histoire de sa domestication et sur la diversité des races.


«Chihuahua ou grand danois, tout chien est le descendant de loups domestiqués par les chasseurs de la Préhistoire». Tel est le consensus sur l'origine du chien, exprimé ici par Juliet Clutton-Brock dans son ouvrage de référence sur l'histoire des mammifères domestiques [1]. Voici le scénario. Vers la fin du dernier âge glaciaire, il y a 20000 ans, l'homme préhistorique était, comme le loup, occupé à chasser le gros gibier. En situation de concurrence, hommes et loups se rencontraient. Des bébés loups ont été adoptés, pratique observée aujourd'hui chez des chasseurs-cueilleurs. Ou bien ils ont été pris pour constituer une réserve de nourriture, et certains adoptés en raison des liens d'attachement créés. «En grandissant, certains de ces louveteaux devenaient rétifs et devaient être tués ou écartés, écrit Juliet Clutton-Brock dans un livre précédent. Quelques-uns, cependant, ont dû rester avec les hommes et être accouplés avec d'autres loups apprivoisés se nourrissant des déchets laissés autour du lieu d'habitation [2].» De fil en aiguille, des groupes de loups apprivoisés ont accompagné l'homme dans ses déplacements. Ils lui ont rendu des services croissants, l'alertant sur la présence d'un danger, lui permettant de repérer du gibier et l'aidant à chasser. En quelques milliers d'années, d'apprivoisés les loups sont devenus domestiqués. Comme tous les animaux domestiqués, ils ont perdu certains de leurs caractères sauvages et en ont acquis d'autres. Quand, beaucoup plus tard, vers 12000 av. J.-C., les hommes ont commencé à se sédentariser, le chien était déjà une espèce à part entière: c'est le Canis familiaris de Linné.

Ce scénario est étayé par l'archéologie. Des ossements de loups ont été trouvés à proximité de ceux d'humains en Chine et en Europe à partir de –400000 ans. Dans la grotte du Lazaret –125000 ans, un crâne de loup est placé à l'entrée de chaque abri humain. Les premiers restes de chiens, eux, sont beaucoup plus tardifs: ils datent du Mésolithique, période qui précède immédiatement le Néolithique. Découverts en 2003 en Russie centrale, les plus anciens ossements attribués à des chiens sont deux crânes, datés de 12000 av. J.-C. Il s'agissait d'animaux puissants, comparables aux grands chiens de berger du Caucase. Les premiers sites où le chien est culturellement associé à l'homme sont ceux de Hayonim et de Ein Mallaha, en Israël. On y trouve des chiens beaucoup plus petits, enterrés avec leur maître, vers 10000 av. J.-C. Dans une tombe, on voit même un humain âgé, sans doute une femme, dont la main est posée sur un chiot de 4 ou 5 mois voir photo page 32. Il n'est pas exclu que ce chiot soit un louveteau ou un petit chacal, car à cet âge tendre les squelettes se ressemblent beaucoup, mais c'est peu probable. Les restes avérés de chiens se multiplient à partir de 9000 av. J.-C. C'est la date à laquelle apparaissent, en Iran, les premiers vestiges de la domestication de ruminants: des chèvres.

Dans les années 1995-2002, ce consensus s'est vu couronné par une série d'analyses génétiques confirmant que le chien descend du loup. «L'origine du chien domestique à partir du loup a été établie», rappelle un article de recherche paru dans Science en novembre 2002. Seuls resteraient à connaître «le nombre d'événements fondateurs ainsi que le lieu et la date où ils se sont produits» [3]. Grâce à l'analyse génétique, les auteurs «suggè-rent» une origine en Asie orientale Chine entre 38000 et 13000 av. J.-C. L'estimation précédente plaçait la date de divergence entre le loup et le chien entre 133000 et 74000 av. J.-C. [4]. Aujourd'hui, l'affaire est close, ou presque. Sans l'annonce atten-due du séquençage du génome d'un boxer, plus approfondi que celui déjà fait d'un caniche, il n'y aurait plus grand-chose de neuf à attendre. Par centaines, les sites Web vous expliquent que le chien descend du loup, comment et pourquoi.

Pas une espèce ?

C'est très satisfaisant. Depuis Darwin, la domestication est considérée comme le geste fondateur de la «sélection artificielle», action par laquelle l'homme se substitue à la nature pour diriger l'évolution d'une espèce. Première espèce à avoir été domestiquée, le chien est l'une des grandes innovations de l'homme, après la maîtrise du feu et avant l'agriculture.

À moins qu'il s'agisse seulement d'une belle histoire. C'est le point de vue du biologiste américain Raymond Coppinger, un vétéran de la recherche sur les chiens. Pour lui, «il n'y a pas l'ombre d'une chance que des gens aient apprivoisé et entraîné des loups sauvages et les aient transformés en chiens». Il pense que le chien ne descend pas du loup, mais d'une espèce apparentée au loup, au chacal et au coyote. Ce n'est pas l'homme qui a domestiqué le chien, c'est le chien qui est venu à l'homme. «Il s'est domestiqué lui-même [5].» Comment une thèse aussi contraire au consensus peut-elle être sérieusement défendue?

Le chien est une espèce sans équivalent dans le règne animal. Aucune ne regroupe un si grand nombre de variétés plusieurs centaines et une telle gamme de différences morphologiques et comportementales entre les variétés. Le chihuaha mexicain mesure 13 centimètres de haut. Un berger anatolien peut peser 90 kilos. Un chien de traîneau court plus longtemps qu'un loup, un lévrier plus vite. Le basenji égyptien n'aboie pas. Comment expliquer ces variétés? Il y a plus curieux: bien que le chien soit considéré comme une espèce, il se reproduit sans problème avec ses cousins les loups, les coyotes en Amérique du Nord, et les chacals en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde. La définition classique de l'espèce ne lui est donc pas applicable. Comment est-ce possible?

Le grand nombre de variétés et la faculté de se croiser avec ses cousins avaient amené Darwin à considérer l'hypothèse que le chien descende à la fois du loup, du coyote et du chacal. Les analyses génétiques récentes qui prétendent en finir avec cette hypothèse sont fondées sur la comparaison de l'ADN mitochondrial de séries d'in-dividus chiens, coyotes, chacals et loups [fig. 1A].

Mais le témoignage de l'ADN mitochondrial est de plus en plus contesté. Coppinger, qui a pratiqué la méthode, a fini par conclure qu'elle apporte plus de faux-semblants que de certitudes. Robert Wayne, qui s'est appuyé sur elle pour tracer de beaux arbres phylogénétiques des canidés, fait aujourd'hui machine arrière: «Nous devons aller au-delà, a-t-il dit en février à la grand-messe annuelle des scientifiques américains, ne pas nous contenter de comparer quelques centaines de paires de bases, mais séquencer tout le génome des mitochondries, séquencer aussi une grande variété de marqueurs, y compris dans le chromosome Y.» Dans l'un de ses derniers arbres, il ne fait d'ailleurs pas descendre le chien du loup [fig. 1B]. Coppinger, lui, pense désormais qu'il est illusoire de vouloir placer le chien sur un arbre phylogénétique, car les loups, les chiens, les coyotes et les chacals sont, à ses yeux, des variations d'une seule et même espèce. Ce sont bien des espèces au sens écologique du terme à chacun sa «niche», mais pas au sens phylogénétique. Ces animaux apparentés évoquent plutôt, dit-il, ce que les biologistes appellent un «cline», c'est-à-dire un spectre de caractères relevant de la même espèce mais en évolution constante en fonction de la géographie et de l'environnement [fig. 1C].

Les chiens partagent quantité de caractères avec leurs trois cousins. Ils ont le même nombre de chromosomes, le même nombre et la même forme de dents, le même rapport entre la longueur du crâne et celle du palais la voûte osseuse de la gueule. Ils ont tous une gestation de soixante-trois jours. Ils naissent aveugles et ouvrent les yeux au même moment le treizième jour.

Mais, en dépit de leur grande variété, les chiens ont aussi des caractères communs qui leur sont propres. Ils ont les molaires et prémolaires resserrées, le pelage variable d'un individu à l'autre. La queue a tendance à remonter en faucille. Les mâles sont fertiles toute l'année, et les femelles peuvent mettre bas deux fois par an au lieu d'une. Par rapport au loup, les dents sont plus petites, la longueur du crâne et le volume du cerveau sont réduits, les yeux arrondis. La maturation sexuelle se fait avant la fin de la première année, alors que le loup doit attendre deux ans. Et ils ont un comportement de soumission qu'on ne rencontre, dans une meute de loups, que chez les individus en état de sujétion par rapport au couple dominant.

Plusieurs de ces caractères sont courants chez les animaux domestiques. La réduction de la taille du cerveau est une constante. Pensons aussi à la variété du pelage de la vache ou du chat, à la queue en tire-bouchon du cochon, au compor-tement de soumission. Chose étonnante, ces traits de la domestication sont souvent de nature juvénile: tout se passe comme si l'animal adulte avait conservé des traits propres au jeune, voire au jeune de l'espèce ancestrale. Par exemple, la plupart des chiens ont les oreilles plus ou moins tombantes, comme le louveteau. De même, la queue du louveteau pointe en tournant vers le haut. D'autres traits juvéniles concernent le comportement. Les louveteaux aboient, ce que les loups adultes font rarement, et la plupart des chiens un peu trop. La quête affective d'un chien adulte rappelle aussi celle d'un louveteau. Beaucoup de chiens aiment pleurnicher et jouer, ce qui n'est pas le cas des loups adultes, même apprivoisés. Plus fondamental, le cerveau du chien correspond en gros à celui d'un loup de 4 mois.

Quand les renards aboient

À première vue, ces traits juvéniles, dits néoténiques, accréditent le scénario standard. L'adoption de louveteaux par l'homme préhistorique aurait entraîné des transformations dans le rythme de développement des petits loups. Ce point de vue semble encore renforcé par une expérience extraordinaire menée en Sibérie. Depuis la fin du XIXe siècle, des renards argentés y sont élevés pour leur fourrure. Bien qu'ils se reproduisent en captivité depuis des générations, ils restent des animaux sauvages, difficiles à gérer. À la fin des années cinquante, un généticien de Novossibirsk, Dimitri Biéliaev, ayant constaté que certains renards étaient moins craintifs, et donc plus dociles, lança un programme consistant à sélectionner systématiquement les renards les moins craintifs et à les faire se reproduire entre eux. Le succès dépassa l'attente: il obtint une lignée de renards en aussi forte demande affective que des toutous. Ce fut aussi une belle surprise. Car en 18 générations ces renards ont acquis des traits physiologiques des chiens: oreilles pendantes, pelage multi-colore, queue remontante, reproduction biannuelle, etc. Pour couronner le tout, ils aboient! Comment une transformation aussi rapide a-t-elle pu se produire chez un mammifère?

Mais cette expérience, qui se poursuit aujourd'hui, fournit aussi un argument à l'encontre du scénario standard. Depuis d'autres travaux célèbres menés à la fin des années quarante au Jackson Laboratory, aux États-Unis, on sait que les chiens connaissent entre l'âge de 2 et 16 semaines une période critique de socialisation pendant laquelle ils acquièrent l'essentiel de leurs compétences sociales. «À 16 semaines, la personnalité sociale d'un chien est fixée pour la vie», écrit -Coppinger. Elle est câblée dans le cerveau du chien.

Cette fenêtre est liée à la date d'apparition d'une conduite motrice stéréotypée, celle de peur et de fuite devant l'inconnu. Ce réflexe n'apparaît chez le chiot que vers la sixième ou la huitième semaine, donc au milieu de la fenêtre de socialisation. Chose curieuse, ce réflexe apparaît aussi vers la sixième semaine chez les renards en captivité de Novossibirsk, ceux qui n'ont pas été sélectionnés pour l'expérience. Autrement dit, ces renards disposaient d'une fenêtre de socialisation comparable à celle des chiens. Or, qu'en est-il de la fenêtre de socialisation du loup? Elle ne dépasse pas une semaine. La conduite de fuite se déclenche six jours après l'ouverture des yeux et s'achève dans la foulée. Comment nos ancêtres préhistoriques ont-ils pu mettre à profit une fenêtre aussi courte?

Depuis des décennies, des loups en captivité sont étudiés et choyés par des éleveurs attentifs qui seraient évidemment enchantés de voir se développer chez eux certains au moins des caractères du chien. Or, contrairement à un mythe tenace, ils n'y parviennent pas. On peut accoutumer des loups à la présence humaine, à condition de s'y prendre avant qu'ils ouvrent les yeux et de mener l'apprentissage avant la fin de la fenêtre de socialisation. Mais les loups les plus dociles ne sont que partiellement apprivoisés, en aucun cas domestiqués. Avec tout le savoir-faire du monde, des loups captifs depuis des générations, chouchoutés pendant la fenêtre de socialisation, restent des animaux sauvages, dangereux pour l'homme. À l'âge de la maturité sexuelle 2 ans, la nature reprend ses droits: tous leurs caractères ancestraux sont au rendez-vous, y compris l'irré-pressible désir de monter dans la hiérarchie de la meute pour obtenir le droit à la reproduction. Le loup adulte n'a qu'une idée: s'enfuir. Pour ce faire, il développe des trésors d'ingéniosité dont un chien serait bien incapable. Aucun éleveur n'a obtenu d'un loup qu'il réponde à une injonction du genre: «Assis!» ou «Couché!» On voit des tigres au cirque, pas des loups. Pas plus d'ailleurs que des coyotes ou des chacals. Il ne saurait, à plus forte raison, être question d'élever un loup pour en faire un gardien de troupeau, ni même, contrairement à une légende, pour l'atteler à un traîneau.

Chiens sans maître

Supposons cependant qu'une expérience contrôlée semblable à celle menée sur les renards russes soit conduite avec des loups, et qu'elle donne certains résultats ce qui est loin d'être acquis. Que nous apprendrait-elle sur la capacité des hommes du Paléolithique à transformer des loups en chiens? Rien, sans doute. On voit mal comment ils auraient pu s'engager dans cette galère, ni pourquoi ils l'auraient fait. D'où le scénario alternatif proposé par -Coppinger. Selon lui, ce n'est pas la sélection artificielle qui était à l'œuvre, mais la vieille et bonne sélection naturelle.

Comment les choses ont-elles pu se passer? Pour étayer son hypothèse, Coppinger s'est intéressé aux chiens les plus nombreux de la planète, les chiens sans maître. Ils sont 200 ou 300 millions, on ne sait. Beau succès! Ce sont les chiens de village des populations rurales. Ces chiens que toute visite dans un pays pauvre permet d'observer, pullulant en liberté auprès des lieux d'habitation. Avec son équipe, Coppinger a en particulier mené une étude approfondie sur l'île de Pemba, au large de Zanzibar.

Les habitants de Pemba sont mi-chasseurs-cueilleurs, mi-agriculteurs. Leur mode de vie n'est pas très éloigné de celui des habitants de Mahalla, vers 10000 ans av. J.-C., là où l'on a retrouvé le squelette de la femme au chiot. À Pemba, tous les chiens se ressemblent. Ce sont des animaux que nous qualifierions de bâtards, d'apparence quelconque: de taille moyenne, le pelage court avec des taches de couleurs variées, les oreilles plus ou moins pendantes, la queue vers le ciel. Ils vivent des détritus laissés par l'homme. Ils circulent en bonne harmonie. Les habitants ne les aiment pas, ne les touchent pas, mais les tolèrent. Certains sont élevés pour participer à la chasse aux animaux qui ravagent les récoltes.

Pourquoi ce type de chien ne serait-il pas le digne représentant des premiers chiens? Dans ce scénario, des chiens sauvages, de la taille des chacals ou des coyotes, donc moins exigeants en calories que les loups, se seraient approprié les alentours des premiers villages humains, à l'époque du site de Mahalla ou un peu avant. Ils auraient profité des déchets laissés par les villageois, tout en continuant à se nourrir de petits animaux aux alentours. Moins dangereux que les loups, ils auraient été tolérés par l'homme, d'autant qu'ils nettoyaient les immondices, mangeaient les animaux nuisibles, avertissaient du danger et constituaient, de surcroît, une source de nourriture supplémentaire.

Il existe aujourd'hui en Nouvelle-Guinée un chien sauvage qui chante au lieu d'aboyer. Ce chien chanteur vit dans la forêt et, la nuit, vient compléter son menu quotidien en mangeant des détritus aux alentours des villages. Il est très proche du dingo australien. Son origine est inconnue, comme celle du dingo. Pour certains, il descendrait d'un chien domestique qui serait revenu à l'état sauvage voici plus de 6000 ans. Mais il n'y a pas de témoin. Il n'est pas exclu qu'il soit un descendant direct de l'ancêtre des chiens de village, des chiens sans maître comme ceux de Pemba. L'ancêtre de tous les chiens. L'hypothèse est défendue par une chercheuse américaine, Janice Koler-Matznick. Elle constate que l'archéologie ne nous a pas livré d'ossements d'animaux intermédiaires entre le loup et le chien. De fait, le dingo ressemble aux plus anciens restes osseux de chiens trouvés en Europe du Nord [6].

Poursuivons le raisonnement induit par ce scénario. Le dingo et le chien chanteur ont, comme les autres chiens, un cerveau plus petit que celui des loups et atteignent la maturité sexuelle avant un an. Ces caractères ne sont pas forcément dus à la domestication; ils peuvent être, plus simplement, propres à cette sous-espèce. Par ailleurs, ces chiens ont tous les traits d'animaux sauvages. Leur cerveau mis à part, ils n'ont pas les traits juvéniles des autres chiens. Leur pelage n'est pas variable, ils n'ont pas les oreilles tombantes, ni la queue relevée, ils sont apprivoisables mais, comme les loups, s'enfuient dès qu'ils atteignent la maturité sexuelle. On ne peut en faire des chiens de garde ou de chasse au gros gibier. Quand ils capturent une proie, ils la dépècent. Comment de tels chiens ont-ils pu connaître le processus de domestication?

Par l'effet de la sélection naturelle, répond -Coppinger. Comme les renards de -Sibérie, certains individus sont moins farouches que d'autres. D'ébou-eurs nocturnes, certains ont pu devenir des éboueurs diurnes. Ils se sont intégrés à l'environnement des premiers villages du Mésolithique ou des premières installations stables de la période immédiatement précédente. Ils auraient constitué peu à peu une nouvelle niche écologique, dont les chiens restés pleinement sauvages auraient été exclus, peut-être avec l'aide de l'homme qui y aurait trouvé son intérêt. Peu à peu, les détritus des villages et les carcasses du gibier chassé par l'homme seraient devenus leur principale source de nourriture. Leur fenêtre de socialisation aurait intégré l'homme dans leur univers. La pression de la sélection exercée par la vie sauvage se serait relâchée, produisant l'émergence de premiers traits juvéniles.

Des chiots auraient été adoptés. Leurs maîtres auraient découvert, sans le savoir, les potentialités ouvertes par la fenêtre de socialisation. Fenêtre sans doute moins longue qu'aujourd'hui mais plus longue que celle du loup. Les chercheurs russes ont d'ailleurs constaté qu'au fur et à mesure du processus de domestication la fenêtre de socialisation de leurs renards s'allongeait: l'apparition de réflexe de fuite a été retardée, passant de six à neuf semaines. Certains de ces chiens adoptés, protégés par l'homme, se seraient alors reproduits entre eux, accusant la fixation de traits juvéniles. Accompagnant les hommes dans leurs activités, certains de ces chiens auraient manifesté des compétences intéressantes. Celle, par exemple, de suivre un troupeau sans lui faire de mal tout en représentant une menace pour les prédateurs. N'oublions pas que les premiers ruminants domestiqués apparaissent presque immédiatement après les premiers restes de chiens culturellement associés à l'homme. Pour Coppinger, les premiers chiens domestiques, au sens où nous entendons ce terme, sont contemporains des débuts du Néolithique. Les premiers chiens sélectionnés pour des tâches spécifiques sont apparus dès cette époque. Des archéologues ont trouvé des vestiges de traîneaux tirés par des chiens en 6000 av. J.-C. au nord de la Sibérie [7].

Maintenant, comment expliquer biologiquement la mise en place des traits propres au chien domestique et l'extra-ordinaire variété des races? Là, les deux scénarios se rejoignent. Chez le loup, le coyote, le chacal et le chien, certains caractères apparaissent plus tôt ou plus tard au cours du développement, certains organes se développent plus ou moins vite. Si le cerveau du chien est plus petit que celui du loup, c'est que la tête du loup croît plus longtemps que celle du chien. C'est vrai aussi d'une race de chien à l'autre, et même d'un individu à l'autre. Comparer finement le développement de ces espèces ou sous-espèces, races ou individus, revient à pointer une quasi-infinité de déphasages relatifs on parle d'hétérochronies. Ils concernent aussi bien les os du crâne que l'apparition de conduites motrices stéréotypées, comme le réflexe de fuite ou les séquences successives du comportement de prédation. Or, tout déphasage a des implications en cascade, physiques et comportementales.

Plasticité canine

A la naissance, les bébés du loup, du chacal, du coyote et du chien ont la même taille microchiens mis à part. Ils développent tous les mêmes réflexes de succion, les mêmes signaux d'appel et de détresse. C'est dans les jours et les mois qui suivent que la plupart des hétérochronies interviennent. Selon l'animal, le museau, par exemple, commence à croître à un moment différent, puis change de forme à un rythme différent, trouve sa forme définitive à un âge différent. Le museau du bouledogue se met à croître très tard, comme chez le loup, mais croît ensuite très lentement, alors que celui du loup continue de croître rapidement. À l'inverse, le museau du lévrier barzaï, c'est une exception, commence à croître avant la naissance. La forme finale du crâne et du palais dépend de ces événements. La position des yeux aussi, ce qui a un impact sur le comportement. Le barzaï a les yeux rapprochés, ce qui lui donne une bonne perception de la profondeur et en fait un excellent chasseur de lapins. Au contraire, le bouledogue a les yeux rejetés sur le côté, ce qui lui donne une bonne vision périphérique, un peu comme celle d'un oiseau.

La sélection artificielle, celle qui a conduit à la diversité des races de chiens, consiste donc d'abord à sélectionner des traits jugés intéressants chez un chiot pour tenter de les reproduire. La face écrasée du bouledogue et le long museau du barzaï sont le résultat d'une sélection poussée à l'extrême. Elle consiste ensuite à agir sur la fenêtre de socialisation pour diriger les compétences du chiot dans la direction désirée. Tout chiot ne peut devenir chien de traîneau ou chien de transhumance, mais des chiens d'origine très diverse peuvent acquérir pendant cette période des compétences que l'on croit souvent réservées à d'autres races. Élevés au contact physique de moutons pendant la fenêtre de socialisation, la plupart des chiens peuvent faire de bons gardiens de troupeau. À la surprise générale, un éleveur écossais a obtenu d'excellents tueurs de lapins à partir de toutous de compagnie considérés comme tels depuis des siècles, l'épagneul King Charles. La plasticité de la gent canine est telle que la grande majorité des races de chien aujourd'hui recensées ont en réalité été créées très récemment, à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe.

Reste la question de l'origine. Comment l'ancêtre des chiens a-t-il surgi? Peut-être par hybridations successives entre diverses variétés de loups et de chacals. Dans la nature, il suffit qu'une population diminue fortement, en raison d'une épidémie par exemple, pour qu'elle soit tentée de se croiser avec une autre. On le voit aujourd'hui avec les loups d'Europe, menacés, dont les dernières analyses donnent un taux d'hybridation avec les chiens allant jusqu'à 40%. L'hypothèse que le chien soit issu d'un ou plusieurs hybrides reste donc d'actualité. Retour à Darwin.

Par Olivier Postel-Vinay

Source : http://www.larecherche.fr/savoirs/evolution/chien-enigme-biologique-01-05-2004-88998
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