L’agression liée à la nourriture Se nourrir est une nécessité vitale pour le chien, comme pour tous les êtres vivants. La gestion de cette ressource qu’est la nourriture est donc primordiale pour survivre, ce qui lui confère une valeur potentiellement conflictuelle. Si nos chiens familiers sont rarement en manque de nourriture ( bien au contraire), nous pouvons tout de même observer qu’ils ont tendance à se précipiter sur leurs repas sitôt servis, pour peu que l’alimentation proposée leur soit agréable. Cela démontre que l’appropriation d’éléments à caractère alimentaire reste un sujet sensible pour la plupart d’entre eux.
Nous considérerons dans le paragraphe suivant le fondement éthologique de la motivation des chiens à s’alimenter de manière opportuniste. Nous aborderons ensuite les erreurs les plus fréquemment commises par nous autres humains, qui conduisent à l’incompréhension mutuelle et à la réaction agressive fréquente du chien pour qui la nourriture est un sujet sensible. Enfin, nous verrons comment prendre en compte les besoins du chien au regard des habitudes humaines, pour éviter toute confrontation, que ce soit avec nous, avec d’autres chiens ou avec d’autres animaux.
A l’état sauvage Dans la nature, la motivation primaire des animaux est de trouver de la nourriture. Ce besoin biologique vital conditionne les comportements intra-spécifiques (de l’espèce) : les canidés ont entre eux des relations organisées qui permettent de s’unir pour chasser en meute.
Tous les sens des chiens sont parfaitement aiguisés pour repérer, traquer, attraper et mettre à mort leurs proies. Au moment de passer à la consommation, plusieurs déroulements sont possibles :
- le chien « prioritaire » (sur les repas) se servira d’abord, des meilleurs morceaux, et repoussera les autres chiens d’une mimique faciale explicite ;
- une fois repu, il laissera ses congénères venir se nourrir, et ne tentera jamais de leur prendre leur nourriture ;
- les individus les plus faibles, les chiots et les sujets malades se nourrissent en dernier.
Pour parfaire ce schéma classiquement cité, il faut évoquer certains groupes aux fonctionnements particuliers. Les chiots pourront par exemple, accéder très vite à la carcasse, et selon la taille de la proie ramenée, plusieurs sujets pourront manger en même temps. L’idée d’une hiérarchie de la nourriture est alors caduque, dans des cas précis d’organisations bien spécifiques.
Dominer son chien par la nourriture ? Par extrapolation, beaucoup d’idées reçues ont été véhiculées concernant le moment du nourrissage, pour que les propriétaires gardent l’ascendant sur leurs chiens, sur la base de ce que l’on constate dans la nature, et comme si nous étions de la même espèce. Or il est fondamental de se souvenir que nous ne sommes pas des chiens, et que nous ne pouvons pas nous inscrire comme tels dans leurs esprits.
Les implications de ces idées répandues furent de différentes natures : stopper son repas en cours de consommation et retirer sa gamelle, privilégier le chien « le plus faible » (qui mange toujours après quand les deux chiens sont ensemble), punir le « vol » (alors que la nourriture était accessible, donc considérée par le chien comme « offerte »), donner et reprendre des friandises (pour lui faire admettre qu’on est le dominant ?)… qui sont pourtant des concepts humains qui n’existent pas dans le répertoire comportemental du chien.
Utiliser ces pratiques amènera fréquemment à de la méfiance vis-à-vis de son propriétaire, voire de la compétition qui se traduiront par une docilité forcée, bloquant toute volonté du chien (« inhibition de l’action »), ou bien par une réponse assertive, c’est-à-dire une menace, voire une agression.
Pour les éthologues (qui sont des scientifiques, utilisant des protocoles d’observations et d’interprétations des résultats précis et reproductibles), la notion de hiérarchie n’existe pas entre espèces, et elle est même remise en cause au sein de l’espèce canine, alors qu’on l’imaginait jusqu’à peu immuable et définitive. Pour être plus précis, nous parlons plutôt de statuts fluctuants, au gré du temps, des émergences et rétrogradations ponctuelles d’individus, des évolutions de la meute et des circonstances environnementales. C’est pourquoi la « dominance » est un terme impropre, qui doit systématiquement être soit précisé, soit banni. Trop de « professionnels » utilisent ce raccourci pour exploiter l’avilissement de l’animal, et en conséquence, trop de propriétaires adhèrent de bonne foi à ce concept répandu, oubliant les émotions que ressentent les animaux, leurs réalités naturelles et risquant de se faire mordre. Bien gérer la distribution de la nourriture Il faut respecter les codes de fonctionnements des chiens, et ne pas escompter en devenir un soi-même ! Ainsi, parce que cela ne fait pas partie de ses mœurs, le chien ne peut pas comprendre :
- qu’on lui reprenne sa gamelle ou son os après que la nourriture lui ait été donnée ;
- qu’il se fasse réprimander si de la nourriture est laissée à disposition et qu’il s’est servi ;
- qu’on le force à manger à 50 cm d’un congénère alors qu’il a besoin d’espace pour se nourrir paisiblement
Ces trois comportements peuvent générer des agressivités chez les sujets sensibles, envers leurs propriétaires, et possiblement, envers des congénères ou des animaux de passage dans l’environnement.
Quelques précautions supplémentaires Afin d’éviter les conflits ayant trait à la nourriture, il y a lieu d’être attentif à plusieurs éléments. Tout d’abord, il s’agit d’identifier si le chien est particulièrement sensible à cette ressource. Ensuite, il est important de ritualiser le moment des repas (ou des encas) en ne laissant ni nourriture à disposition ni tentation possible et en n’acceptant pas les demandes intempestives du chien qui cherche à obtenir sans cesse quelque chose à grignoter. Enfin, il faut prendre conscience de certaines situations potentiellement à risques afin de les éviter, telles que, l’enfant qui mange à hauteur de la gueule du chien, la prise de position du chien sous la table aux moments des repas des humains (il pourrait se précipiter au cas où un aliment tombe au sol), et éviter de lui donner les restes de table à sa demande.
Nicolas Sergent et Laurence Bruder Sergent
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